Ses doigts comme le monde.

22 avril 2007

Dans ses doigts, il porte le monde. Le temps s'arrête et, comme le néant sans fond, sa musique nous emporte et l'emporte. Seul, ses mots lui parlent et lui font mal. Il souffre en enfonçant une touche. Il se courbe, se relève, se repli sur lui même. Ses doigts dansent, deviennent incontrôlables. Sa respiration est rauque, il est comme haletant, sa musique le transperce, semble s'emparer de toute les parcelles de son corps. Les notes agissent sur lui telles des lames mille fois tranchantes. Son corps parait être figé alors que ses doigts continuent de se mouvoir. Il n'a plus de parole, plus de regard. Pourtant, il parle et s'exprime. Seul, face au néant, face à cet instrument de noir et de blanc, il existe. Il ne joue pas la mélodie, il est la mélodie. Il ne possède pas le piano, le piano le possède. En face de lui, on ne voit plus rien. Il s'empare de nos pensées, de nos maux, de nos espoirs. On se sent comme morts, alors que lui seul est devant nous, alors que la mélodie s'empare de nous à notre tour, tel le fruit du diable. Tout se brouille. Alors que lui respire au rythme des notes, nous, on ne retrouve plus l'oxygène. C'est beau. Et tout d'un coup, le moment est venu. La mélodie est là. Elle arrive presque ininvitée. Pure, belle, touchante. Sa présence est effrayante. Vous ressentez ce qu'il ressent. Vous savez comment le comprendre. Vous ressentez l'angoisse, les images qui déferlent dans votre tête comme des millions de souvenirs oubliés, comme votre inconscient qui se révèle. Même mort, il continue à jouer. Ses doigts ne portent pas le monde, ils sont le monde.

Pour Yoann, le meilleur pianiste qu'il m'a été permis de voir sur scène et de connaître.

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